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L’engagement sécurité des contracteurs

« Le travail et les procédures » VS « Le travail tel qu’exécuté » par les contracteurs.

Rédigé par Myriam Perrier, Consultante associée

Article écrit à l’occasion de ma participation à un panel de discussion sur ce qui est prévu sur papier versus ce qui est fait concrètement en lien avec la prévention.


J’ai décidé d’étudier le sujet de l’engagement des sous-traitants après avoir travaillé pendant deux ans de façon rapprochée avec un département projet qui faisait appel aux sous-traitants quasi exclusivement. Cette organisation possédait déjà des structures, des systèmes en santé-sécurité et bien évidemment, comme beaucoup d’autres, des exigences particulières envers les sous-traitants. À la mise en place du département des projets, qui allait faire appel de façon extensive à la sous-traitance, les personnes en charge se sont questionnées sur comment bien faire les choses en prévention avec les sous-traitants.


Ces gens, mes clients, jetaient les bases d’une réflexion qui allait devenir «ma» réflexion pour les 3 années qui ont suivies et, fort probablement encore plusieurs autres dans le cadre du Doctorat. Comment favoriser la santé-sécurité dans les projets requérant des sous-traitants? Devons-nous être plus strictes ou au contraire plus compréhensif avec ce type d’acteurs? Est-il possible de faire encore mieux avec les sous-traitants qu’avec les employés directs de notre organisation? Tous ces questionnements étaient à l’origine de la recherche effectuée qui s’est finalement arrêté sur le questionnement suivant: « qu’est-ce qui fait qu’un sous-traitant décide de s’engager ou non envers la santé-sécurité ? » Nous reviendrons à cette question et aux réponses trouvées à la suite d’une mise en contexte sur la sous-traitance.


Les contracteurs sont un risque!


De temps en temps, lors de visites terrain où il est discuté du risqué avec des groups de travailleurs, des personnes me font cette blague « Ce n’est pas compliqué! C’est mon collègue le risque!” Cette blague qui est faite dans un esprit de camaraderie entre travailleurs est drôle en certaines circonstances. Cependant, lorsqu’il est question de sous-traitants, j’ai réalisé que c’est souvent la perception: Le sous-traitant EST le risque lui-même. D’ailleurs, récemment, en ouvrant un modèle d’analyse de risque d’un nouveau client, j’ai constaté que le premier danger listé pour la première étape d’une tâche était «travail effectué par un sous-traitant». Quand l’humain est-il devenu lui-même le risque plutôt que le responsable de contrôler les risques? Comme vous le constatez, beaucoup de questionnement ont alimenté ma réflexion.


Les études effectuées pour déterminer l’effet de la sous-traitance sur les performances en santé-sécurité ont, en général, recensé un effet négatif sur les performances en santé-sécurité (Hasle, 2007). Plus précisément, un taux d’accident plus élevé (Johnstone et al., 2003) ou une gravité des accidents plus critique (. Muzaffar et al. 2013). Les recherches effectuées au fil du temps ont tenté d’expliquer le phénomène par différentes raisons et les solutions proposées sont variées, allant de proposer des lois et règlements plus sévères, davantage de coopération entre sous-traitants et propriétaires(Brun, 2004), d’effectuer de meilleures analyses de risque, et ce, conjointement, de considérer le temps passé par les sous-traitants sur le site et recruter des sous-traitants reconnus pour leur niveau de sécurité (Valluru et al., 2020, Nunes, 2012, James et al., 2007, Nygren et al. 2007, Huang and Hinze, 2006, Clarke, 2003).


Les contracteurs sont de réels acteurs


L’angle de l’engagement a été choisie après maintes réflexions et exploration de la littérature et une étude qualitative a été réalisée pour en venir aux résultats obtenus. Toutefois, cet article ne se voulant pas l’article scientifique à proprement dit suivant ma recherche, nous épargnerons les lecteurs des détails méthodologiques de même que de la donnée et de l’analyse de celle-ci pour se concentrer sur quelques conclusions pratiques et découvertes intéressantes pour une meilleure prévention avec les sous-traitants. Il est tout de même pertinent de mentionner que le cadre théorique utilisé fût celui proposé par Michel Crozier et Erhard Friedberg dans leur ouvrage L’acteur et le système (Crozier & Friedberg, 1977). Il est important de le préciser car cet article suggère une approche considérant les sous-traitants en tant que réels acteurs, en opposition à une vision où ils seraient de simples exécutants de travaux en échange de montants établis dans un contrat.

Les constats de cette étude exploratoire nous ont permis de déterminer que les sous-traitants agissent en tant qu’acteurs et prennent des décisions en matière de santé-sécurité basés sur leurs stratégies. Cette stratégie est influencée par plusieurs éléments. Ainsi, la croyance selon laquelle un entrepreneur effectue des travaux donnés avec seul objectif de recevoir l’argent prévu au contrat est trop réductrice pour s’appliquer dans la réalité et devrait être rejetée d’emblée par tous ceux désirant atteindre de meilleures performances en SST. Il serait donc plus juste de considérer les entrepreneurs comme de réels acteurs et d’accepter que leurs buts et enjeux sont multiples et influencent constamment leurs décisions.


Travaillez sur votre projet n’est pas le seul but d’un sous-traitant


Il faut donc tenter de sortir des conceptions traditionnelles pour identifier les buts et enjeux dans un projet, en considérant à la fois l’entrepreneur et le propriétaire. Par exemple, dans un projet d’envergure critique pour le propriétaire, qu’il doit réussir car lui permettant d’améliorer sa production, des enjeux d’images doivent tout de suite être considérés du côté du propriétaire: il est fort probable que ce dernier voudra que le projet qu’il réalise soit considéré comme un succès. Du côté du sous-traitant, si le projet est d’envergure pour lui aussi, et que cela lui permet de se positionner comme un fournisseur de référence chez le propriétaire, l’on constate une situation où des enjeux sont complémentaires entre propriétaire et sous-traitants, voir similaires. Cette situation favorise l’intégration de la santé-sécurité aux travaux car induit un esprit de partenariat et une volonté partagée de réussir dans tous les aspects du projet. Cela peut sembler évident, toutefois, nombre d’entrepreneurs sont appelés à faire des travaux qui sont réalisés dans un contexte tout autre: dans certaines circonstances, la vitesse d’exécution est l’élément principal pour lequel le sous-traitant est engagé, ou encore les travaux effectués sont secondaires ou ne présentent aucun défi technique, aucune valorisation potentielle du travail du sous-traitant. Dans de telles circonstances, il se peut que la stratégie du sous-traitant intègre moins efficacement la santé-sécurité. Les buts et les enjeux autant du sous-traitant que du propriétaire peuvent varier et mener à des situations moins facilitantes en matière de santé-sécurité. Il convient donc de se questionner sur les autres buts et enjeux que rencontrent le propriétaire et le sous-traitant mis à part le désir d’exécuter un travail à court-terme. Il y a souvent beaucoup plus dans la relation entre les deux et un «jeu» qui s’installe entre eux, incluant plusieurs facteurs tels les coûts, le temps alloué au projet, la qualité requise, etc.


Parmi les buts et les enjeux qu’un sous-traitant rencontre, celui de l’image est particulièrement impactant sur sa décision d’intégrer la santé-sécurité à sa stratégie ou non. Il serait donc toujours pertinent de se demander lorsque l’on emploi un sous-traitant: son image dépend-elle beaucoup ou pas du tout de ses performances en santé-sécurité? Ce sous-traitant est-il vraiment au centre du projet et de s’exposer à des risques l’expose-t-il aussi à une réelle dégradation de son image? Ou au contraire, une mauvaise gestion des risques risque-t-elle davantage de passer inaperçue ou même d’avantager le sous-traitant ? À l’inverse, de travailler en sécurité malgré toute contrainte de temps peut-il renforcer son image de sous-traitant de confiance, dans un projet critique? Ces questions, bien que pouvant paraître évidentes pour certains, ne le sont pas et leur réponse est appelée à varier, même à l’intérieur d’un contrat.


Avoir les ressources et être une ressource


Les ressources disponibles pour les sous-traitants, dans l’atteinte de leur stratégie, affectent aussi leur décision d’engagement envers la santé-sécurité. Les délais affectent leur rentabilité ainsi que la rentabilité du propriétaire et peuvent affecter négativement la décision d’engagement. Les ressources humaines, autant celles du sous-traitant que celles du propriétaire, disponibles pour planifier et assurer une présence sur les lieux, ont un impact notable sur la décision d’engagement. Connaître les paramètres entourant les ressources financières ainsi que les délais, pour évaluer le risque que ceux-ci influencent la décision d’engagement en intégrant cet aspect aux analyses de risque de projet devrait être considéré dans la phase de planification des projets incluant des sous-traitants.


De plus, les situations pour lesquelles le sous-traitant constitue une ressource pour le propriétaire dans l’atteinte de sa propre stratégie, tendent à favoriser la décision d’engagement par le sous-traitant. Cette situation est elle-aussi particulièrement intéressante car certains contrats demandent l’action secondaire d’un sous-traitant qui peut être moins supporté ou au centre d’un projet, sans réel défi technique. Pensons par exemple à certains sous-traitants offrant des services de nettoyage avant ou après les travaux, des services d’échafaudages ou effectuant des tâches simples ou secondaires aux «réels» projets. La décision de s’engager envers la santé-sécurité est moins présente dans les cas où le sous-traitant n’est pas au centre d’un partenariat significatif pour lui-même et pour le client.


La relation de pouvoir et les systèmes, une alternative solide pour favoriser l’engagement en SST?


La relation de pouvoir entre les acteurs est, la plupart du temps, favorable au propriétaire qui est positionné en tant que client. Le propriétaire peut-il donc contraindre le sous-traitant à s’engager en formulant des menaces en vue de le contraindre? Bien qu’ayant un certain effet, cette façon de faire a ses limites, car les enjeux du propriétaire (coûts, échéancier, image) ne lui permettent pas réellement ou facilement de « punir » un sous-traitant en lui retirant un projet en cours de contrat, bien que cette alternative soit souvent mentionnée par les chargés de projets des propriétaires « Être sécuritaire fait partie du travail et nous allons les remplacer s’ils ne se conforment pas à nos attentes!»


Encore une fois, cette conception appartient à un paradigme ancien où le propriétaire n’établit pas un réel partenariat, en plus d’être inexacte car le changement d’un sous-traitant en cours de projet est un exercice couteux et ardu.


De plus, notre recherche suggère également, En ce sens, éviter d’ajouter davantage de systèmes visant à augmenter le contrôle traditionnel et bureaucratique des sous-traitants. Miser plutôt sur la qualité des systèmes en place, en assurant leur suivi et en évaluant leur performance, tel le propose Dekker et ** dans leur article sur la bureaucratisation de la SST.


La culture est aussi dans le portrait.


L’identité et la culture du sous-traitant comme du propriétaire influencent leur stratégie, ce qui peut influencer la décision d’engagement du sous-traitant. Intégrer des éléments de culture aux processus de préqualification des sous-traitants pour déterminer si la santé-sécurité fait partie intégrante de l’identité et de la culture est un point de départ, car celle-ci influence également sa décision d’engagement.


Bien que de considérer tous ces éléments peut sembler être un travail assidu et difficile, cette recherche mène à un élément clé à se remémorer: le sous-traitant n’est pas le risque que vous devriez essayer de contrôler avec avantage de règles et le considérer plutôt comme un réel acteur peut être le point de départ pour un changement de paradigme à l’échelle de toute votre organisation.


BIBLIOGRAPHIE

Clarke, S. (2003). The contemporary workforce: Implications for organisational safety culture. Personnel Review, 32(1), 40-57. doi: 10.1108/00483480310454718

Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective. Paris: Éditions du Seuil.

Dekker, S. W. A. (2014). The bureaucratization of safety. Safety Science, 70, 348-357. doi: https://doi.org/10.1016/j.ssci.2014.07.015

Hasle, P. (2007). Outsourcing and Employer Responsibility: A Case Study of Occupational Health and Safety in the Danish Public Transport Sector. Relations industrielles, 62(1), 96-117. doi: https://doi.org/10.7202/015799ar

Hollnagel E., W. R. L. a. B. J. (2015). From Safety-I to Safety-II: A White Paper. . The Resilient Health Care Net: .

Huang, X., & Hinze, J. (2006). Owner’s role in construction safety. Journal of Construction Engineering and Management, 132(2).

James, P., Johnstone, R., Quinlan, M., & Walters, D. (2007). Regulating Supply Chains to Improve Health and Safety. Industrial Law Journal, 36(2), 163-187. doi: 10.1093/indlaw/dwm002

Muzaffar, S., Cummings, K., Hobbs, G., Allison, P., & Kreiss, K. (2013). Factors Associated With Fatal Mining Injuries Among Contractors and Operators. Journal of Occupational and Environmental Medicine, 55(11).

Nunes, I. L. (2012). The nexus between OSH and subcontracting. Work, 41, 3062-3068.

Nygren, M., Jakobsson, M., Andersson, E., & Johansson, B. (2017). Safety and Multi-employer Worksites in High-risk Industries: An Overview. Seguridad ocupacional y lugares de trabajo multi-patronales en las industrias de alto riesgo: una visión general., 72(2), 223-245. doi: 10.7202/1040399a

Valluru, C. T., Rae, A., & Dekker, S. (2020). Behind Subcontractor Risk: A Multiple Case Study Analysis of Mining and Natural Resources Fatalities. Safety, 6(3), 40. doi: http://dx.doi.org/10.3390/safety6030040

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